Filière agro-alimentaire en Ile de France : constats, coopérations et perspectives
Le GRAFIE, l’inter-réseau de l’IAE en Île-de-France, a pour missions d’accompagner la croissance des structures de ce secteur. En ces temps de recomposition du paysage économique, nous souhaitons porter la réflexion sur la création de filières au sein de notre secteur. Ainsi, nous cherchons à aider les acteurs agissant dans une même filière à coopérer.
Dans la lignée de l’étude sur les besoins sociaux auxquels les structures répondent déjà et ceux sur lesquels elles pourraient trouver des opportunités de développement, nous souhaitons alimenter la réflexion collective sur la diversification de nos activités et la recherche de modèles innovants, résilients et solidaires. Nous avons par exemple commencé des travaux spécifiques en ce sens sur la filière textile ou sur la filière numérique.
Parmi les champs qu’il restait à investir, se trouvait celui de l’agro-alimentaire. Nous avons donc voulu prendre un temps collectif pour poser le cadre d’éventuelles coopérations à venir autour de ces activités.
Le contexte :
Quels sont les besoins en matière agro-alimentaire en Ile de France ?
En introduction, nous avons pu rappeler à partir du travail mené par Coorace Ile de France, dans le cadre de la task force de l’IAE, que 2 millions de personnes relèvent de l’aide alimentaire des banques alimentaires en France et qu’à Paris, 6,3% de la population est en insécurité alimentaire. La part des budgets consacrée à l’alimentation est plus importante en IDF qu’ailleurs. Ces chiffres sont confirmés par le quotidien vécu par les acteurs autour de la table : aujourd’hui se présentent au guichet de l’aide alimentaire un nombre accru de personnes qui ont faim.
Ces constat nous rappellent l’urgence à trouver des modèles agro-alimentaires plus égalitaires : tous les franciliens ne mangent pas à leur faim aujourd’hui en Île-de-France et les difficultés de revenus entraînent mécaniquement des difficultés à accéder à une alimentation satisfaisante. Cette inégalité face à l’alimentation se retrouve également dans la qualité de l’alimentation à laquelle ont accès les franciliens : le taux d’obésité est ainsi deux fois supérieur dans les QPV que dans le reste de la région.
Le gaspillage est plus important en Ile de France qu’ailleurs en France. Ce sont près de 85 000 tonnes de nourriture emballée qui sont gaspillées par année en Ile de France. Ce piètre score en termes de production de déchets se cumule avec un modèle de production très énergivore et polluant qui n’est pas soutenable environnementalement.
Face à ces constats, les pistes prospectives, pour dessiner un avenir plus inclusif et durable, laissent entrevoir des possibilités d’une agriculture plus locale, reposant sur un recours à l’emploi plus important, exigeant un travail d’éducation collective sur les régimes alimentaires et des systèmes de redistribution performants.
Sur l’ensemble de ces étapes, les structures de l’IAE agissent déjà. Autour de la table, de nombreux exemples en témoignaient. Quels sont alors leurs besoins en matière de coopération pour développer leurs réponses ?
Quelles opportunités aujourd’hui pour les acteurs de l’IAE ?
Invité à témoigner sur l’état des lieux et les enjeux de la filière, Julien Adda, directeur du Réseau Cocagne, a rappelé que la question de l’organisation de la filière est éminemment politique. L’organisation de la manière avec laquelle nous produisons, nous distribuons et nous consommons doit se penser en système. Il faut pouvoir penser une action au sein de ce système large pour s’assurer d’avoir un impact réellement positif.
Cet aspect politique de l’organisation de la filière agro-alimentaire explique un poids important des groupes d’intérêts. Il paraît donc capital que l’IAE, puisqu’elle propose également une vision de ce que devrait devenir la filière, puisse rentrer dans ce jeu politique. C’est dans cette mesure que le Réseau Cocagne a décidé de s’affilier à un certain nombre de structures du monde agricole.
Une première conclusion, pour les SIAE de la filière et dans l’éventualité de la construction d’une filière agro-alimentaire de l’insertion en Ile de France, serait donc de tisser des liens avec le monde agricole classique, en trouvant des alliés partageant une vision de l’agro-alimentaire dans laquelle l’IAE pourrait se retrouver.
Ces alliés politiques pourront aussi se retrouver parmi les collectivités territoriales. Poussées par l’urgence écologique, celles-ci sont de plus en plus nombreuses à vouloir accélérer la transition des modèles agro-alimentaires vers des modèles plus durables. Il y a donc ici une opportunité pour les SIAE à profiter de cette ouverture des décideurs politiques au changement.
De la fourche à la fourchette, témoignages et pistes de coopérations
Nous sommes donc face à un double constat. D’une part, nous avons besoin d’une transformation importante du modèle agro-alimentaire pour qu’il corresponde aux besoins sociaux contemporains. D’autre part, pour paraphraser Julien Adda, nous sommes dans une situation « d’alignement des planètes », où les collectivités territoriales, les citoyens, les associations semblent prêtes à s’engager fortement dans cette transition.
Nous avons souhaité discuter avec les acteurs de cette transition, pour qu’ils apportent des témoignages sur leurs activités, mais également qu’ils amènent sur la table des sujets autours desquels la coopération pourrait intervenir pour créer de nouvelles solutions.
Cultivons la Ville est un projet de Chantier Ecole regroupant des structures de l’agriculture urbaine à des fins d’insertion sociale et professionnelle. Ces structures, au-delà de produire des denrées, permettent de sensibiliser au soin à apporter à l’environnement et de créer des vocations auprès d’un public qui n’est pas initialement tourné vers l’agriculture.
Toutefois pour le moment, les sorties vers l’emploi de ces structures se font rarement vers les métiers agricoles. Il y a donc un enjeu important à convaincre les employeurs du secteur agricole de recourir à cette main d’œuvre formée et sensibilisée aux enjeux environnementaux. Des liens avec les entreprises, les centres de formation peuvent être envisagés, voire des accompagnements aux portages de projets directement en sortie de parcours.
ANDES Le Potager de Marianne est une association dépendante du groupe SOS, tête de réseau d’épiceries solidaires. Pour rappel, les épiceries solidaires permettent à leurs bénéficiaires d’accéder à une alimentation de qualité à des tarifs inférieurs aux tarifs du marché dans un objectif de regain de pouvoir d’agir. Pour alimenter ces épiceries solidaires, il a fallu créer un important réseau logistique d’approvisionnement. Ces plateformes d’approvisionnement sont des ateliers chantiers d’insertion qui intègrent également des activités d’antigaspi.
Ces activités génèrent elles-mêmes des invendus, c’est-à-dire des produits qui ne sont plus aptes à être consommés à l’état brut. ANDES cherche donc des structures prêtes à revaloriser ces invendus, en les transformant. On perçoit là le rôle que pourrait avoir le rapprochement des acteurs de la filière dans l’IAE : intervenir en amont où en aval d’un partenaire pour que les déchets ne soient envisagés que comme des ressources.
Appro 77 est un établissement de Croix Rouge Insertion, plateforme logistique de l’aide alimentaire dans le grand est francilien monté sous le format ACI, avec pour objectif d’agir sur le lien ville-campagne. L’outil logistique a amené à se questionner sur l’ensemble de la filière. Cette réflexion a abouti en 2020 par la création d’une entreprise d’insertion, sur la question de l’approvisionnement par circuits courts des restaurateurs et de la distribution. Cette activité relie des producteurs locaux avec des distributeurs commerçants ou de la restauration.
Cette activité a nécessité de créer un réseau de producteurs locaux et de comprendre leurs besoins. Parmi ceux-ci, l’entreprise d’insertion a relevé des besoins en main d’œuvre ponctuels que les producteurs ont du mal à combler. Pour accompagner ces producteurs, le modèle de l’association intermédiaire pourrait être une solution. Il y a donc un enjeu à rapprocher les producteurs partenaires de la solution portée par Appro 77 ou d’autres structures d’insertion. On perçoit donc ici une piste de coopération dans la mesure où les partenaires des uns pourraient profiter aux autres et ainsi, créer une synergie positive entre structures engagées.
Bien sûr en matière de coopération, il pourrait également être envisagé des rapprochements entre structures logistiques et structures de production.
Domitille Flichy, Farinez Vous
est une entreprise d’insertion regroupant deux boulangeries à Paris.
Pour Farinez Vous, la question de la coopération pourrait d’abord passer dans la construction de pistes d’approvisionnement durable. Il s’agit systématiquement de faire un choix entre un approvisionnement local, biologique, responsable sur la question de l’emploi. Il n’est parfois pas aisé de savoir quel choix est le plus éthique à faire. Pour cela, partager des ressources sur l’approvisionnement, mutualiser ce travail de recherche de sources satisfaisantes pourrait être une piste envisageable.
Par ailleurs, la question des recettes est aujourd’hui cruciale : comment inventer des recettes qui permettent de se passer des ingrédients les moins propres écologiquement ? La question du beurre se pose par exemple de façon accrue dans la boulangerie. Il s’agira donc de trouver des recettes en sollicitant moins, en mobilisant de la recherche et développement, afin de ne pas faire des produits de boulangerie des produits de luxe n’étant plus accessibles au plus grand nombre. Dans l’artisanat, la question de la recherche et développement est compliquée, car demandant d’importantes ressources. Il pourrait ainsi s’agir de mutualiser les coûts de ce travail ?
Ces échanges nourris auxquels ont pu participer les quelques 80 participants réunis autour de notre webinaire, dessinent donc de nombreuses pistes de coopérations. A nous maintenant de nous en emparer !
Une note de synthèse du webinaire est accessible en suivant ce lien